Quelqu’un m’a dit un jour : « Le courage, c’est de rêver l’idéal et d’affronter le réel. »

Pour moi, Clémentine Kruk, 17 ans, le réel, je le combats tous les jours de front. Le réel d’un handicap auditif avec lequel je vis depuis ma naissance, auquel est venu s’ajouter un handicap visuel qui s’est aggravé au fil des années. Depuis l’âge de sept ans, plus aucune couleur ni aucune forme n’est visible pour moi. Je me déplace donc avec une canne blanche et utilise mon ordinateur pour poursuivre mes études.
Affronter le réel du handicap à l’école, puis au collège et au lycée. J’ai eu la chance de rencontrer des gens formidables, qui savaient faire la part des choses. Plutôt bonne élève malgré ma cécité, j’ai passé quatre merveilleuses années au collège de La Salle à Pibrac. Soutenue, épaulée, guidée… et réprimandée (quand c’était nécessaire !) par des enseignants compréhensifs et doués dans leur domaine.
Et cela s’est confirmé au lycée. Après avoir obtenu mon Brevet des collèges mention très bien, j’ai intégré le lycée privé du Ferradou de Blagnac. Je suis actuellement en terminale littéraire (spécialité mathématique), filière que j’ai eu la possibilité de choisir non pas parce que mon handicap me refusait les autres, mais parce que je suis passionnée de littérature, de philosophie, d’histoire et de latin. Un vrai profil littéraire, me diriez-vous !

Rêver l’idéal et vivre son rêve !

Rêver l’idéal dans le domaine sportif également. Passionnée d’échecs depuis mon enfance, j’ai intégré à l’âge de douze ans le club d’échecs de Toulouse-Lardenne. J’ai donc suivi des cours hebdomadaires et joué avec les autres membres du club, qui, eux, voient parfaitement. Pour ce faire, je me sers d’un échiquier adapté, dont les pièces sont aimantées au plateau ; ce qui m’épargne la honte de les faire tomber après un mouvement brusque. C’est vrai que, s’il me prenait l’idée bizarre de faire tomber l’échiquier entier, je suppose gue les pièces tomberaient… hormis ce cas, improbable… tout reste stable (et je ne suis pas mauvaise perdante au point de faire ce genre de choses non plus). De plus, les pièces noires de mon jeu sont munies d’un signe distinctif qui les différencie des blanches, afin de m’empêcher de donner bêtement la victoire à mon adversaire, je suppose !
Mais restons sérieux ! Cela fait donc bientôt six ans que je m’entraîne en club, et qu’une partie de mes week-ends est consacrée aux tournois interclubs, par équipe ou autres. Cela fait six ans que mon elo se construit au fil de mes parties, suivant mes progrès, glissant avec mes défaites. Bref, évoluant avec mon expérience. Notamment lors de mes différentes participations aux championnats de ce qui était autrefois la région Midi-Pyrénées, entre 2013 et 2016 inclus.

En parallèle, ma pratique des échecs ne se limite pas à mon club. Je participe également à plusieurs tournois d’échecs par Skype, avec une centaine d’autres joueurs non-voyants ou malvoyants francophones, et une centaine d’autres parlant en langues étrangères (anglais, espagnol, italien ou même portugais). Nous ne nous comprenons pas toujours très bien, ne venons souvent pas du tout de la même partie du monde, nos histoires et nos rapports à nos handicaps (visuels voire plus) sont tous très différents. Pourtant, une passion nous rassemble : les échecs. Et de préférence… les succès.
C’est grâce aux joueurs rencontrés sur ce tournoi que j’ai participé à trois reprises au Championnat de France d’échecs des non et mal malvoyants. D’abord à Sète en mai 2016, puis à Lyon en 2017 et enfin Bordeaux en 2018. Ma performance m’a valu trois titres consécutifs de Championne féminine, auxquels est venu se rajouter un titre de championne des jeunes lors de ma dernière participation. Et, rendons à César ce qui est à César, je dois aussi en partie cette victoire à la bienveillance de mon proviseur de lycée qui m’a autorisé à manquer une semaine de cours en 2017 au profit de mon déplacement à Lyon…
Suite à ma dernière victoire, je me prépare également pour mon prochain grand tournoi. Du 13 au 24 août 2018 se tiendront à Cracovie (Pologne) les Championnats du monde d’échecs des jeunes malvoyants et nonvoyants. Briefée à fond par mon entraîneur, je ne me suis cependant pas fixé d’objectif, étant donné que mes adversaires seront particulièrement coriaces (notamment russes et polonais).

Côté études, je révise également mon baccalauréat, afin de pouvoir entrer en septembre en classe préparatoire Chartes au lycée Pierre de Fermat de Toulouse. Je n’ai, bien sûr, aucunement l’intention d’abandonner les échecs pour autant même ma priorité reste ma réussite scolaire.
Les échecs, pour moi, c’est… Concentration. Une partie d’échecs en compétition équivaut à une épreuve du baccalauréat de philosophie en termes de temps et de travail cérébral. L’avantage ? Une longue pratique des échecs me permet de tenir le coup pendant les plus longs contrôles.
L’inconvénient ? J’ai toujours la ferme volonté de finir ce que j’ai commencé, même s’il est 3 h du matin et que je suis épuisée.

Une éternelle remise en question. On ne va pas se mentir, trop de par coeur tue le par coeur. Aux échecs, le par coeur est mortel. A chaque coup, la position change ; les variantes sont infinies. Aucune partie ne ressemble à l’autre, ce qui fait que chacun doit s’adapter à son adversaire pour l’emporter. L’avantage ? On est plus ouvert aux nouvelles méthodes en cours, ce qui est pas mal, surtout pour le saut collège-lycée.
L’inconvénient ? Les automatismes, utiles pour certaines matières, mettent parfois du temps avant d’être intégrés.
La solitude pendant l’effort. Les échecs sont un sport individuel et cérébral. Tout se passe dans la tête. On peut avoir travaillé pendant des heures avec l’entraîneur, face à l’échiquier, c’est le joueur gui décide quoi faire. Et comme dit plus tôt, chaque erreur est fatale. L’avantage ? On acquiert pas mal d’autonomie, toujours utile face à un sujet de bac récalcitrant. L’inconvénient ? Il est de plus en plus difficile de se rendre compte qu’on a besoin d’aide parfois, et encore plus d’oser en demander, fût-ce même à un professeur conciliant. L’interactivité pendant la récupération. Il n’y a pas que les parties de compétitions qui sont les plus passionnantes, il y a aussi l’analyse postcompétition. Lorsqu’on débriefe le moindre descoups et réactions de chacun avec ordinateur, entraîneur et quelques autres joueurs pour avoir des avis divergents. Les débats qui s’ensuivent peuvent durer des heures. L’avantage ? On est généralement plus actif en cours, notamment pendant les corrections d’exercices. L’inconvénient ? Il ne faut pas oublier qui est censé avoir le dernier mot. La reconnaissance de la défaite. Tout match d’échecs n’a que trois issues : victoire, match nul, défaite. Plus ou moins cuisant en fonction de la durée de la partie, plus ou moins facile à digérer en fonction du caractère des gens aussi. L’avantage ? La persévérance malgré des notes parfois basses. L’inconvénient ? Un perfectionnisme parfois exagéré. Un sport avant tout cérébral. Le physique n’a absolument aucune influence aux échecs. L’âge ne dit pas l’expérience, et le sexe, la validité et la classe sociale des gens ne traduit en rien leur niveau. Ce qui compte, c’est la matière grise qui bouillonne dans le cerveau. L’avantage ? La tolérance et le respect de tous. L’inconvénient ? Il vaut mieux pratiquer un sport physique à côté si vous voulez rester en forme, parce que seuls les muscles cérébraux travaillent… En ce qui me concerne, je pratique le ski de piste durant mes vacances d’hiver, le tandem (quand la météo s’y prête) durant mes week-ends et la randonnée ainsi que le canyoning pendant mes vacances d’été.

Les échecs font donc partie intégrante de ma vie, l’une des rares activités où mon handicap ne m’a jamais au grand jamais imposé de barrières et où ma performance n’était pas dévalorisée par rapport à celle de joueurs plus valides.

Sports Région Occitanie n°54 ►55
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